Ceux qui nous lient

En cohérence avec la ligne éditoriale de mon podcast Ceux qui nous lient, j'ai sélectionné des projets qui donnent goût et se distinguent par leur engagement pour le respect du vivant, tout en dialoguant les uns avec les autres dans une logique de réseau vertueux

commissaire
  • Camille Brachet

Depuis plus de trois ans maintenant, je produis le podcast Ceux qui nous lient, et après avoir enregistré une trentaine d’épisodes et en revenant sur les archives d’une trentaine de rencontres, je me rends compte à quel point les sujets abordés dans les entretiens menés pour Ceux qui nous lient rejoignent directement mes thématiques de recherche. Qu’il s’agisse de penser la nourriture comme culture, ou de mettre en évidence le fait que manger est un acte politique, la dimension holistique de l’alimentation s’affirme article après article et invité après invité. 

Il me semblait donc parfaitement cohérent d’accepter de participer à ce commissariat pour la plateforme Socialdesign sur la thématique Donner goût afin de mettre en valeur des projets qui relèvent d’un écosystème très proche de celui du podcast : Ceux qui nous lient a pour objectif de donner à entendre la parole d’acteurs de mondes a priori différents, réunis grâce aux liens tissés par la gastronomie et l’alimentation. Quand on regarde plus précisément de quoi est composée la collection d’invités, on observe des ponts et des liens forts entre les participants. Il en est de même au sein du groupe de projets proposés pour la plateforme Socialdesign.

Les projets que j’ai sélectionnés se rejoignent tous autour de leur engagement pour le respect du vivant. Cette thématique prend de plus en plus de place dans le discours des acteurs du monde de la gastronomie que je croise, et offrir un espace d’expression en à celles et ceux qui font les choses dans le respect de l’environnement et des hommes est devenu une de mes priorités. Il s’agit finalement de s’intéresser à des projets qui pensent le bon, le propre, le juste, pour reprendre les trois piliers du mouvement Slowfood. 

Comme le montrent les nombreuses publications de professionnelles de la gastronomie en librairie, on assiste à une véritable libération de la parole qui traduit une envie certaine d’expliquer une démarche, de transmettre des pratiques vertueuses, mais aussi de donner goût. Si les livres de recettes se sont multipliés ces dernières décennies, on assiste aujourd’hui à l’affirmation d’une démarche plus didactique. La volonté de faire connaître valeurs et positionnement émerge de livres de chefs qui prennent le temps d’expliquer leurs pratiques, et ce mouvement est un moteur pour un projet comme celui de la plateforme Socialdesign, car les personnes qui s’engagent dans de nouveaux projets ont besoin de relais médiatiques alternatifs. En rassemblant ces 5 projets autour de la thématique ouverte Donner goût, il s’agit bien de construire un réseau cohérent, d’inviter des personnalités d’univers distincts mais qui se répondent et se retrouvent dans leur engagement autour de « bonnes pratiques ». 

Donner goût est un enjeu majeur et fait l’objet d’une attention constante de la part des professionnels du secteur : c’est un moyen puissant de faire bouger les lignes qui structurent les pratiques professionnelles et amateurs touchant à l’alimentation. Faire la cuisine relève bien d’une démarche culturelle et politique, et nombreux sont les ouvrages de chefs qui valorisent leur engagement et le formalisent. Les projets que j’ai choisi de mettre en évidence s’inscrivent tous dans cette dynamique et sont tous motivés par un engagement très fort.

Noémie Malaize et Alice Roca ont choisi de donner goût au grand public en produisant de beaux objets éditoriaux comme Îlots ou À ma table. Par l’intermédiaire de deux publications par an, Îllots permet de valoriser des territoires peu connus et de donner goût en allant à la rencontre d’acteurs du bien-manger locaux et en donnant à voir les lieux de productions les plus cachés. Alice Roca a choisi le prisme de la recette, toujours très efficace, pour partager ses idées et donner goût ; le partage d’un univers et d’un imaginaire très riche sous-tend également sa démarche.

Les producteurs sont souvent géographiquement éloignés des consommateurs, et c’est pourtant la proximité avec le producteur qui permet de reconnecter celui qui mange à ce qu’il mange et d’éveiller simultanément papilles et consciences. Un outil comme le Marché vert permet de mettre en lien ceux qui produisent la matière première et les consommateurs. De la même manière, un des objectifs de l’École comestible, est de reconnecter les enfants à la terre, de leur apprendre d’où vient leur nourriture et de quelle manière travailler les produits bruts dès le plus jeune âge : en plantant, en regardant pousser, en prenant soin, en cueillant, en goûtant, en cuisinant, les enfants découvrent les goûts et étoffent leur palette de sensations gustatives. Ce sont deux projets qui donnent goût en mobilisant la chaîne de la graine à l’assiette, tout comme celui de Paule Masson, aux Jardins de Mala. Cette maison d’hôtes propose de donner goût en faisant découvrir une cuisine fertile : en ouvrant ce lieu éco-culinaire « dédié au vivant, à la nature et à la cuisine éco-responsable », Paule Masson offre une grande place à la transmission : stages de cuisine du vivant, cueillettes comestibles, cuisine sauvage, fabrication de pain au levain, les activités sont nombreuses et toutes ancrées dans l’écosystème local. 

 Quant au Domaine les Bruyères, il s’agit d’un lieu pensé dans son ensemble, valorisant le locavorisme et l’autosuffisance grâce à un potager de 1000 m2 en permaculture. Une serre une forêt fruitière, une mare, des ruches, et un fournil en cours de réalisation viennent compléter le projet et forment un ensemble cohérent et propice à la biodiversité. 

La logique de réseau renforce les acteurs et je tiens à souligner qu’il existe de nombreux liens entre les différents projets choisis pour la plateforme Socialdesign. Camille Labro et Paule Masson sont toutes deux investies dans l’École Comestible, Noémie Malaize travaille sur le site Internet des Jardins de Mala et a réalisé le logo de cet éco-lieu pensé et concrétisé par Paule Masson. Quant aux photos d’Anne-Claire Héraud, qui porte le projet du Marché Vert, elles traversent l’ensemble des projets évoqués précédemment. Alice Roca, très présente sur les réseaux sociaux avant l’édition de son livre, nourrit le même rapport à la nature, à l’imaginaire culinaire, et à la vie à la campagne que toutes les personnes évoquées et soutient pleinement leur démarche. Et on peut ajouter que projet de Cybèle Idelot, native de San Francisco, est en cohérence totale avec les projets précédents, puisqu’Alice Waters, marraine de l’École Comestible, est une des inspiratrices de Cybèle, surnommée par certains journalistes « la Alice Waters du grand Ouest parisien » !

 Tous ces projets sont finalement traversés par la notion d’engagement, omniprésente dans la sphère du culinaire : par engagement, j’entends un faisceau d’éléments divers qui convergent vers une alimentation dite éco-responsable et durable.

Cet engagement il est donc multiforme puisqu’il traverse la sphère culinaire dans son ensemble, qu’il s’agisse du produit de départ, des pratiques professionnelles en cuisine, des conditions de travail des différents acteurs de la chaîne, de toutes les démarches éco-responsables mises en œuvre, des prises de position éthique qui défendent le vivant, mais aussi des revendications de valeurs sociales et militantes. L’engagement se matérialise par les actions des professionnels, sous différentes formes, et il circule par l’intermédiaire de discours qui visent à faire connaître des valeurs, une démarche, des pratiques, et les projets présentés ici nourrissent pleinement cette dimension.

 

Camille Brachet

Camille est enseignante-chercheuse en Sciences de l'Information et de la communication et travaille depuis des années sur la médiatisation de la culture et de la gastronomie dans le cadre de ses activités de recherche. Afin de donner la parole et de la visibilité à des personnalités variées sur un sujet aussi transversal que la gastronomie envisagée comme une production culturelle, elle produit le podcast CEUX QUI NOUS LIENT depuis plusieurs années.

www.ceuxquinouslient.fr